Réforme fiscale immobilière : il est urgent d'attendre 2026

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Réforme fiscale immobilière : il est urgent d’attendre 2026

La situation du marché du logement au Luxembourg est connue de tous. Les moyens pour y remédier moins. Entre 2001 et 2018, le Grand-Duché a connu 186.600 habitants (+42%) et 103.000 (+111%) frontaliers supplémentaires, mais n’a construit que 53.200 logements. Le prix des terrains à bâtir a quant à lui progressé de 137% entre 2010 et 2021. Une performance supérieure à celles de l’Euro Stoxx 50 (+90%), du DAX 30 (+129%) et du CAC 40 (+40%) sur la même période, avant impôts.

La synthèse économique consacrée au Luxembourg par l’OCDE, publiée en juillet 2019*, concluait sur les pressions du marché du logement en pointant, notamment, « l’utilisation limitée des terrains constructibles et l’existence de réglementations complexes en matière de zonage » qui « ont fait bondir les prix et encouragé la spéculation foncière ». Face à ce constat, une des recommandations consistait à « accroître le coût d’opportunité des terrains inutilisés en réformant les impôts périodiques sur la propriété immobilière. »

La réforme envisagée, objet du projet de loi n°8082 du 10 octobre 2022, s’inscrit dans cette philosophie. Les trois axes majeurs de ce projet de loi s’articulent autour d’une modernisation de l’impôt foncier et l’introduction de deux nouveaux impôts incitant les propriétaires fonciers à mobiliser les terrains constructibles (impôt à la mobilisation de terrains) et les habitations inhabitées (impôt à la non-occupation de logements).

Une réforme fiscale nécessaire…

Nous appelions de nos vœux une réforme de l’impôt foncier. Dans une contribution récente, nous indiquions « [qu’] un faible niveau de taxation des biens immobiliers réduit la charge financière qui pèse sur les investisseurs immobiliers qui décident de conserver des biens inutilisés. » Il nous semblait également évident qu’il était impératif « d’améliorer l’efficacité de la taxe sur les immeubles inoccupés ou insalubres pour dynamiser le marché locatif et, en cas d’inoccupation de longue durée, pour inciter la mise en vente de ces biens » et d’« inciter (ou réduire les obstacles) à vendre les immeubles ou terrains inoccupés », objectifs affichés des nouveaux impôts à la non-occupation de logements et impôt à la mobilisation de terrains.

… mais trop lente

Les délais de mise en œuvre de la réforme ne correspondent pas à la situation d’urgence vécue par les personnes souhaitant se loger au Luxembourg. A la lecture de l’article 73 du projet de loi relatif à son entrée en vigueur, nous apprenons par déduction que les dispositions prévues par le législateur ne s’appliqueraient, au mieux, qu’à partir du 1er janvier 2026. Nous pouvons d’ores et déjà imaginer que des contraintes liées à la mise en place administrative et informatique de la réforme justifient ce délai. Le projet de loi n° 8066 qui crée un Registre national des Bâtiments et des Logements (l’outil qui permettra notamment d’identifier les logements inoccupés) le confirme en donnant aux communes, « vu l'envergure de la tâche », 3 années complètes (à compter du 1er janvier qui suivra l’entrée en vigueur de la loi) pour initialiser le registre communal dont les données seront utilisées pour alimenter le registre national.

L’argument ne fera toutefois pas mouche : le Grand-Duché a démontré sa capacité à se mobiliser sur le sujet du COVID en toute urgence. Il s’agit certes d’une urgence sanitaire mais derrière la crise du logement se cache également une urgence sociale qui mérite une réponse adaptée depuis plusieurs années.

… et insuffisante

La réforme de l’impôt foncier n’a pas pour objectif « l’augmentation des recettes fiscales, mais l’institution d’une imposition juste et équitable qui ne s’expose pas à des reproches d’inégalité de traitement ». Ce qui est visé par la réforme de l’impôt foncier, c’est «la vétusté du système d’imposition foncière actuel ».

Les auteurs du projet de loi présentent un tableau issu de la synthèse économique consacrée au Luxembourg par l’OCDE, publiée en juillet 2019, qui nous informe sur le fait que l’imposition foncière périodique luxembourgeoise est « considérée trop faible et générant de loin le pourcentage du PIB le plus faible parmi tous les pays analysés. » L’impôt foncier ou ses équivalents représentent en moyenne 1.1% du PIB des pays étudiés.

Transposé au Luxembourg dont le PIB 2021 s’élevait à 73 milliards d’euros, les recettes s’élèveraient à 806 millions d’euros contre 40 millions effectivement récoltés en 2021. Ces 766 millions de recettes supplémentaires pourraient être directement dédiés à augmenter l’offre de logement : sur l’hypothèse d’un coût de construction de l’ordre de 5.000 euros du m2 hors terrain, 153.300 m2 supplémentaires de logements seraient ainsi financés chaque année. En tenant compte d’une taille moyenne de logement de 83m2, l’alignement des recettes d’impôt foncier sur la moyenne OCDE permettrait chaque année la construction de 1.850 logements.

Pour rappel, en 2021, 98 habitations à prix abordables ont été mises sur le marché tandis que 300 logements ont été achevés la même année par la Société Nationale des Habitations à Bon Marché (SNHBM). Son parc locatif atteignait 427 logements.

Enfin, on peut douter du fait que certaines des mesures auront réellement l’effet escompté. A titre d’exemple, en ce qui concerne l’impôt national sur la non-occupation de logements, il est prévu que l’impôt s’élèvera à 3.000 euros par logement pour la première année. Les années suivantes, l’impôt sera augmenté de 900 euros par an jusqu’à un montant maximal de 7.500 euros. Si le logement n’est toujours pas occupé, ce montant sera dû annuellement. Est-ce qu’une charge fiscale mensuelle de 250 euros (3000 / 12) par mois va réellement faire réagir et inciter le propriétaire à vendre ou louer si on tient compte de la plus-value qu’il réalise actuellement sur son bien ? On peut tout au moins se poser la question et il semble même que le Gouvernement n’anticipe pas de changement de comportement dès lors qu’il indique lui-même que « Les recettes tirées de cet impôt national s’élèveront à quelque 14 millions par an ».

Un cadre plus global pour répondre aux besoins

La création de logements nécessite une implication plus active de l’Etat et des collectivités luxembourgeois. Une étude du LISER nous apprend que l’Etat, les communes et syndicats de communes, et les promoteurs publics détiendraient 11% du potentiel foncier luxembourgeois.

Certaines recommandations présentées dans la feuille de route proposée par l’OCDE semblent faire écho au potentiel de développement entre les mains des pouvoirs publics du pays, notamment sur les sujets visant à « augmenter la densité résidentielle, notamment autour des pôles de transport, en construisant des bâtiments plus hauts » et « étoffer le parc de logements locatifs sociaux ».

Augmenter la densité résidentielle dans des zones clés

Il s’agit d’une recommandation dont le principe est repris par de nombreux acteurs du marché immobilier luxembourgeois. De ce point de vue, la responsabilité politique et sociale de la ville de Luxembourg semble lourdement engagée sur plusieurs projets immobiliers, notamment le Wunnquartier Stade. Le futur tracé du tramway longe ce quartier situé à quelques pas du centre-ville et à quelques minutes de la Cloche d’Or, de la gare et du Kirchberg une fois le tramway en fonction. Comment expliquer que Belval et Differdange accueillent des immeubles de plus de huit étages là où Luxembourg-ville a limité à quelques projets anecdotiques la construction de grandes tours de logement ? Faudrait-il y voir une forme de snobisme de la capitale par rapport aux villes du Sud, plus ouvertes et pragmatiques ?

Le pays dispose de compétences reconnues internationalement en matière d’architecture, d’ingénierie et de construction. Nos cabinets d’architectes luxembourgeois sont aptes à concevoir et proposer des ensembles résidentiels de grandes hauteurs adaptés au contexte des communes et du pays. Nos bureaux d’études sauront rendre ces logements plus vertueux en matière de matériaux, de techniques de construction et de consommation d’énergie.

Sur le sujet de l’aménagement, l’Etat doit reprendre la main comme il l’a fait sur l’impôt foncier. L’enjeu du logement est un enjeu national, qui dépasse le cadre des discussions en conseil échevinal. Pour rappel, le tramway est financé à 100% par l’Etat. Il semblerait logique que l’Etat impose une forme de retour sur les investissements qu’il finance et dont bénéficient les communes. Une loi pourrait ainsi prévoir que la hauteur de construction soit multipliée par 10 par rapport aux PAG et PAP existants dans une zone de 200 mètres le long du tracé du tramway, puis de manière décroissante en fonction de l’éloignement par rapport audit tracé.

Créer une grande société foncière publique

La dernière recommandation de l’OCDE propose d’« étoffer le parc de logements locatifs sociaux ». Solutionner la crise du logement semble nécessairement passer dans l’esprit des dirigeants publics par accroitre l’accession à la propriété. Le Luxembourg manque d’un grand parc locatif social public. Le modèle actuel de la SNHBM ne fonctionne pas au regard de la crise du logement et des listes d’attente pour obtenir un logement social.

La création d’une grande foncière publique permettrait le « développement du parc public de logements locatifs et (la) limitation de la vente de logements sociaux publics » comme recommandé par l’OCDE. Le législateur pourrait créer « un recours simplifié et généralisé au droit de préemption » au profit de cette société foncière. Les futurs loyers pourraient être distribués par la société foncière publique au fonds des retraites luxembourgeois. Cette société publique travaillerait main dans la main avec des développeurs privés pour constituer un parc locatif social au Luxembourg permettant au pays de rattraper son retard dans ce domaine par rapport aux autres pays de l’OCDE.

Conclusion

Le Grand-Duché souhaite se développer comme un hub de l’industrie spatiale mondiale. Bonne idée a priori. Encore faut-il apprendre à maîtriser l’évolution de son espace national, ce qui semble loin d’être gagné. La réforme de l’impôt foncier, associé à la création de nouveaux impôts ne doit pas rater son objectif : fluidifier le marché des terrains constructibles et des logements vacants au Luxembourg.

Fluidifier n’est toutefois pas construire. D’autres mesures qui nécessitent que l’Etat assume ses responsabilités vis-à-vis des citoyens et vis-à-vis des communes et syndicats de communes sont nécessaires. Droit de préemption, création d’une grande société foncière publique, amendement des PAGs par processus législatif, implication des développeurs privés sont autant de leviers dont dispose le gouvernement pour résoudre la crise du logement derrière laquelle se cache aussi une probable crise sociale.

Le calendrier de la réforme n’est pas à la hauteur des enjeux. La réforme entrera pleinement en vigueur en 2026 au mieux. Les prochaines élections législatives et échevinales auront lieu en 2023. Il y a fort à parier que la question du logement sera omniprésente dans les débats électoraux.

 

* ÉTUDES ÉCONOMIQUES DE L’OCDE : LUXEMBOURG 2019 © OCDE 2019


 Jamal Afakir
Jamal Afakir, Partner - Head of International & Corporate Tax
 Keith O’Donnell
Keith O’Donnell, Managing Partner - International & Corporate Tax

Posted on 08/11/2022